I SEE FIRE
'AND I SEE FIRE, HOLLOWING THE SOULS, I SEE FIRE, BLOOD IN THE BREEZE.'
LET THE MIND GAMES BEGIN
DEMEURE FAMILIALE, LEEDS, 2001
Lena Singer avait toujours été une petite fille tout ce qu'il y avait de plus normal - si l'on exceptait ses origines aristocratiques, son sang sorcier, et les cataclysmes désastreux qu'avaient tendance à engendrer ses colères désastreuses. Là encore, rien d'alarmant. Certes, elle avait des rêves particulièrement poignants et réalistes, et pressentait les choses, mais tout le monde avait toujours attribué ces signes à sa nature de sorcière, à son intuition féminine et à sa sensibilité d'enfant.
La première fois qu'elle avait expérimenté ses pressentiments, elle avait huit ans. C'était lors d'un bal comme ses parents en organisaient tant, et elle s'ennuyait terriblement. Elle devait rester, bien sagement assise sur une chaise, serrée dans sa robe en tulle, et ne pas bouger. Sans compter que les autres enfants présents étaient soit plus âgés, soit beaucoup plus jeunes qu'elle.
Et puis Jake n'était pas là. Lena aimait terriblement son parrain, qu'elle considérait comme son frère, et son meilleur ami. Lorsqu'il était là, la maison était un peu moins vide, un peu moins triste. Ensemble, ils faisaient les quatre-cent coups, et elle les tirait toujours d'affaire - elle sentait toujours quand quelqu'un était à deux doigts de leur tomber dessus pour les punir. Ce soir-là, elle avait ajouté du poivre dans le champagne des adultes, mais ce n'était pas aussi drôle. Elle s'ennuyait. Elle attendait donc patiemment que la fête se termine.
Comme toute petite fille de huit ans, Lena était fascinée par les jeunes femmes portant des jolies robes, avec des traits particulièrement doux. Et c'était le cas de l'une de jeunes comtesses présentes ce soir-là. Échappant à la surveillance de ses parents, elle ne put s'empêcher d'aller voir la jeune femme de plus près, et, trébuchant sur sa robe trop imposante, elle avait manqué tomber et s'était rattrapée à la comtesse, en posant accidentellement ses petites mains sur le ventre de celle-ci.
Une décharge glacée la traversa alors, et le monde bascula. Tout n'était plus que sang, cris, douleur, mort. Elle ne voyait pas qu'on la redressait, qu'on la soutenait. Ses yeux verts était troubles, plongés dans un univers que personne d'autre ne voyait. Alors sa bouche s'ouvrit, et les mots s'en échappèrent, sans qu'elle ne puisse les contrôler.
Donner la vie à cet enfant vous fera perdre la vôtre.
Des glapissements terrorisés l'avaient entourée, et elle avait été envoyée dans sa chambre. Peu à peu, tout le monde finit par oublier cet incident. Lena également. Plus tard, elle devrait apprendre que c'étaient ses parents qui avaient usé d'Oubliettes à tours de bras. Mais huit mois plus tard, la comtesse mourrait en donnant naissance à son fils. Les parents de la fillette commencèrent à soupçonner quelque chose, ce jour-là, mais ils n'en dirent rien. Ce n'était peut-être qu'une coïncidence.
LEEDS, 2002
Lena eut d'autres pressentiments, moins graves, moins violents. Ils lui parvenaient soit par contacts, soit par rêves, soit par impressions. Ces impressions étaient le moyen de lire l'avenir le plus développé chez elle. Elle pressentait toujours ce qui allait se passer, elle devinait le futur. Et cela lui porta préjudice, parfois.
Ce fut le cas, un jour, dans son école privée Moldue. Les élèves se préparaient à l'un des examens les plus importants de leur année. Il déterminerait le collège dans laquelle ils auraient le droit d'entrer. Plus le résultat était élevé, plus l'école serait prestigieuse. Et Lena, ignorant encore l'existence de Poudlard, était aussi inquiète que ses amies. Elles avaient déjà passé les épreuves de maths, de sciences et d'anglais, et se préparaient à l'épreuve d'histoire et géographie. Ne pouvant retenir sa langue, la petite fille exposa à ses compagnes le rêve qu'elle avait fait la nuit précédente.
Dans mon rêve, c'était une rédaction sur les Grecs de l'Antiquité. Je suis sûre qu'on aura ça dans le contrôle.
Arrête de raconter des bêtises, Lena. Tu sais très bien que ce n'était qu'un rêve.
La jeune Lady ne répondit rien. Inutile d'aggraver son cas, n'est-ce pas? L'épreuve avait commencé, et la petite fille avait laissé ses yeux verts courir fébrilement sur le sujet. Et s'arrêter brusquement sur quelques mots. "Rédaction: Vous êtes un enfant de la Grèce Antique. Racontez l'une de vos journées." Elle s'arrêta de respirer et pâlit.
Dès la fin de l'épreuve, une petite main se leva, et une voix cracha des mots haineux. Un ton que l'on ne pouvait associer à une petite fille de dix ans. Et pourtant.
Madame? Lena a triché. Elle connaissait le sujet. Je suis sûre qu'elle l'a volé.
Vingt têtes d'enfants se tournèrent vers Lena, accompagnés du regard inquisiteur de la professeur. Celle-ci, après avoir fait partir tous les élèves, somma la petite fille de rester et convoqua Lord et Lady Singer. A la fin d'une longue discussion à laquelle elle ne participa pas, trop occupée à planer mentalement au-dessus des nuages, les trois adultes se tournèrent vers elle, une lueur étrange dans le regard. Et ce fut Lord Henry qui s'exprima.
Lena? Mrs. Temper est une sorcière, comme nous. Tu comprendras plus tard ce que cela signifie. Elle nous a parlé de ton... exploit d'aujourd'hui, et nous en avons déduit que tu étais une sorcière plutôt particulière. Lena Jane Singer, tu possèdes le Troisième Oeil.
Étrangement, à ces mots, elle se sentit rassurée. Non, elle n'était pas un monstre. Elle avait juste un Don, un pouvoir que les autres ne possédaient pas. Ses parents en étaient fiers, sa professeur admirative. Elle, Lena Jane Singer, pouvait déchiffrer les lignes embrouillées de l'avenir et du temps.
ATHENES, 2015
Lena était fascinée par les vieilles pierres qui se tenaient devant elle. Et ce qui la fascinait encore plus, c'était de ne pas savoir pourquoi. Sa mémoire était un immense tableau blanc. Elle ne se souvenait de rien. Elle se sentit brusquement chanceler, et elle savait que ce n'était pas dû à la chaleur. Rabaissant ses lunettes de soleil sur son nez pour masquer son trouble, elle plongea dans sa vision - ça non plus, elle ne savait pas d'où ça venait. Toujours était-il que c'était ce qu'elle était. Elle vit du sang, elle vit Jake, le vit mourir. Puis elle vit la silhouette d'un grand château qui s'élançait vers le ciel. Elle vit l'endroit. Poudlard. Et sut immédiatement qu'elle devait s'y rendre.
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