CONQUISTADOR
'I AM THE BEST, SHE CLAIMED AND MORE, BATTLE SCARRED CONQUISTADOR.'
EXPLORATION BEGINS HERE
FÉVRIER 2013 - CHINE RURALE, PRES DE CHENGDU
Lorsqu'elle ouvrit les yeux, Lena était dans un endroit qui lui était totalement inconnu. Elle fixa pendant un instant les lattes en bois clair du plafond, avant de se relever brusquement. Ne pas savoir où l'on se trouvait, c'était dangereux. Très dangereux. Elle posa alors un pied nu au sol, puis un deuxième, avant de quitter le matelas sur lequel elle avait été allongée. Sa tête était douloureuse d'une migraine lancinante, mais ça, ce n'était rien par rapport à la douleur qui se nichait dans son épaule gauche. Elle avait le bras en écharpe. C'était à n'en rien comprendre, et en plus, elle ne trouvait pas sa baguette.
Prudemment, elle arpenta les couloirs du bâtiment où elle avait apparemment passé la nuit, jusqu'à débouler sans prévenir dans un jardin. Et là, un vieil homme à l'air sage était assis sur un banc et la regardait. Avant même qu'elle ait pu prononcer un seul mot, l'homme prit la parole en mandarin.
Assieds-toi près de moi, enfant. Tu es encore trop faible pour te permettre de rester debout.
La jeune femme obéit. Après tout, l'homme lui inspirait la confiance, et elle n'était qu'une fille d'à peine dix-huit ans, partie loin de chez elle. Son mandarin était rudimentaire, mais elle parvenait à comprendre à peu près ce qu'il disait. Elle leva alors les yeux vers le bâtiment, et, en observant plus attentivement, comprit qu'il s'agissait probablement d'un temple. L'endroit était paisible; et cette impression était renforcée par le doux parfum de fleurs qui flottait dans l'air ambiant et par la tranquillité apparente de travailleurs qu'elle distinguait dans les rizières, un peu plus bas dans la vallée.
Comment suis-je arrivée ici? Et comment est-ce que je me suis blessée?
Tu as transplané jusque dans les rizières que tu vois là. L'un de mes disciples t'a trouvée et t'a ramenée. Tu étais inconsciente; probablement parce que tu t'es désartibulée.
Le sorcier chinois avait parlé en anglais marqué d'un fort accent. Ce n'était pas important aux yeux de la Poufsouffle. Au moins parvenait-elle à comprendre. L'explication de l'homme amenait de vagues souvenirs dans son esprit. La veille, elle était encore à Chengdu pour les festivités du Nouvel An. Elle se trouvait en pleine parade lorsqu'elle avait vu débarquer un groupe de Purs - probablement missionnés par son père pour la ramener en vitesse à la maison. Elle avait couru, tenté de leur échapper, et, quand il s'était avéré qu'elle n'y parviendrait pas, avait transplané au hasard et en hâte. Ce qui lui avait valu un bras en écharpe.
Pourquoi ton transplanage a t-il échoué?
J'étais en colère et j'avais peur. Ce ne sont pas les meilleurs ingrédients pour un transplanage réussi. Et pourtant, je m'y suis toujours prise de la sorte...
Sans même que l'homme le lui demande, la Singer lui raconta comment elle avait passé son permis de Transplanage, en Septième Année.
FLASHBACK - 2011 - PRE-AU-LARD
C'était injuste. En desserrant sa cravate face à l'inspecteur qui devait lui donner - ou non - son permis de Transplanage, Lena se répéta une énième fois à quel point toute cette histoire était injuste. Née en juin, elle avait été obligée d'attendre la rentrée pour pouvoir passer ce fichu permis. Résultat, elle était entourée de Sixième Années, et de quelques autres Septième Années à l'air agacé. En plus, ce n'était sérieusement pas sa journée. Déjà, elle avait croisé la jeune Oksana dans les couloirs, ce qui lui avait remis en tête le souvenir ô combien désagréable du frère de cette dernière. Elle pouvait presque imaginer ce crétin d'Elijah la regarder passer son permis et se moquer d'elle, et ça la mettait hors d'elle. On oublie jamais une humiliation, après tout. Après, il y avait la Beuglante de sa mère - parce que non, Lady Alexandra ne pouvait pas écrire une lettre basique - qui lui annonçait gaiement qu'elle avait commencé à lui chercher un mari. Super. Elle avait dix-sept ans, elle était majeure, et elle n'avait même pas de prise sur sa propre vie. "Visez Gringotts, Miss Singer", lui avait-on répété. "Visez Gringotts, et on verra là-bas ce que ça donne." Alors, fixant l'inspecteur d'un air revêche, étouffant le stress qui pointait chez elle, la colère stimulant le moindre de ses sens, elle inspira profondément, se focalisa sur les 3D - Détermination, Destination et Décision, qu'on lui avait rabâchés pendant des semaines d’entraînement - et transplana juste devant Gringotts. Enfin, elle transplana presque dans Gringotts, c'est-à-dire qu'elle faillit presque se prendre le mur de la banque en pleine tête. En grimaçant - la sensation que procurait le transplanage était absolument détestable - elle vérifia qu'il ne lui manquait aucune partie du corps. De ce côté, tout allait bien. Il ne manquait rien. Alors, avec une moue de défi, elle regarda l'inspecteur qui approchait.
FÉVRIER 2013 - CHINE RURALE, PRES DE CHENGDU
Et ensuite? Que s'est-il passé?
La jeune femme cligna des yeux, encore perdue dans ses souvenirs, avant de jeter un regard au vieil homme - un vrai jumeau de Dumbledore, version chinois, d'ailleurs - et de lui sourire, tout en acceptant la tasse de thé qu'il lui tendait.
J'ai réussi. On m'a donné mon permis. Mais je fonctionne bien trop à la colère. Et ça ne me réussit pas quand je dois agir dans la précipitation.
Alors il te faut trouver la paix.
Que répondre à ça? Dans sa simplicité tranquille, l'homme lui faisait voir tous ses défauts. Alors quand il se leva et regagna lentement le temple, elle le suivit, ses pieds nus engourdis par la rosée qui s'était déposée sur l'herbe.
Jour après jour, l'homme lui appris la paix. D'abord, elle devait lutter contre le sentiment d'urgence qui la paralysait et l'empêchait de réfléchir. Alors elle apprit la patience, assise pendant des heures dans une rizière, sans bouger, jusqu'à ce que Maître Huan lui permette de revenir. Parfois même, au tout début, elle était restée coincée, tellement ses muscles étaient figés dans leur position. Puis elle avait su écouter la nature, profiter du temps qu'elle avait, observer la beauté des choses. Ensuite, il lui avait appris la concentration, en l'obligeant, encore et encore, à répéter les mêmes idéogrammes complexes sur des kilomètres de parchemin. Il lui avait inculqué la persévérance à l'aide d'un bol de riz - l'idée de ne pouvoir manger que si on parvenait enfin à se servir de baguettes pour avaler son riz était très motivante. Il supporta ses phases de colères, de découragement, alors qu'elle voulait renoncer, tout abandonner. Il la poussa à bout, l'obligeant à dépasser ses limites. Et elle finit enfin par se sentir en paix avec elle-même.
Ce qui lui valut, un soir, en discutant sur le banc du jardin avec Maître Huan, de voir le vieil homme lui faire une demande pas si surprenante.
Laisse-moi maintenant voir comment tu transplanes.
Elle haussa un sourcil, sa curiosité étant attisée, et fit tout ce que le sorcier chinois lui demandait. Elle se plaça debout dans l'herbe, au centre du jardin, ferma les yeux, inspira profondément et chercha en elle tout ce qu'elle avait appris lors des éprouvantes heures auprès du sage Huan. Puis elle pensa à la rizière, et sentit vaguement qu'elle perdait pied avec le sol, tout en ayant l'impression d'être étirée vers le ciel. Suivit l'insupportable sensation d'écrasement et d'enfermement caractéristique du transplanage. Jusqu'à rouvrir les yeux et se retrouver en effet dans la rizière, assise dans la boue, parce qu'ayant visiblement mal calculé son atterrissage. Elle se dépêcha de mettre sa tête entre ses genoux, pour calmer la sensation de nausée lancinante qui pointait. Sans parler de l'impression d'avoir eu tous les os recollés à la va-vite par une sorte de dieu négligent. La moindre de ses articulations lui faisait mal, et pourtant... Impressionnée et victorieuse, elle fit le chemin inverse et déboula juste devant le vieux sage chinois, et, étouffant une grimace, se massa l'épaule, qui lui faisait terriblement mal - elle était engourdie et avait des fourmis dans tous les corps. Après un peu d'entraînement, ce serait moins douloureux. Mais la douleur était atténuée par le sentiment de victoire qui effaçait tout le reste. Elle avait réussi.
C'est parfait. Maintenant que tu es en paix, transplaner te sera plus aisé. Tu pourras aller plus loin, plus vite. Visiter ta famille au Danemark plus souvent. Revoir les amis que tu as rencontré lors de tes voyages. Et, dans le cas où ta vie serait menacée, dans les moments où tu aurais peur, tu pourrais toujours fuir, sans craindre d'échouer. Il existe bien un autre moyen de transplaner, mais il est peu discret, et mieux vaut parfois disparaître sans laisser de traces, non?
L'homme lui adressa un clin d'oeil, auquel elle répondit d'un sourire, satisfaite et apaisée. Huan posa une main sur son épaule, et elle haussa un sourcil interrogateur.
Il est temps pour toi de partir, Lena. Tu étais dans le besoin, et je t'ai offert ce que tu recherchais. Je ne te serai plus d'une grande utilité, désormais, et il te reste tellement à voir. Les portes du temples te seront toujours ouvertes.
Merci, Maître.
Elle avait la voix enrouée par l'émotion - après tout, elle venait de passer trois mois en ce lieu, et elle s'y sentait bien. Mais le vieil homme avait raison, comme toujours, alors elle s'inclina avec respect, sans plus s'intéresser aux petits éclats de douleur dans son dos et regagna sa chambre, se préparant à y passer une dernière nuit.